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Panier vide
Le Septième jour, elle l’aima
Le Septième jour, elle l’aima
Par Pradley Vardly Vixama
Le premier jour fut un jour assez commode pour eux deux. Elle sortait de son restaurant préféré lorsqu’il s’approcha d’elle. Elle était journaliste, lui était de la police administrative, un uniforme qu’il portait avec élégance d’ailleurs. Il la trouva excessivement jolie. La femme était terrifiée à son approche. Non pas que ce dernier l’horripilait, mais la jeune femme avait toujours eu une peur bleue de tous ceux qui portaient un uniforme et une arme. Il voulait l’inviter à diner, la jeune femme lui rit au nez. Cet homme devait bien être stupide pour inviter une femme à diner alors que justement elle sortait d’un restaurant. Il était pourtant resté assez gentil avec elle. Elle avait entendu tellement de mauvaises choses à l’égard des policiers qu’elle se congratulait certaines fois qu’aucun membre de sa famille n’ait eu à porter l’uniforme – cadette d’une famille de six enfants, elle avait trois sœurs et deux frères – Cependant, lorsqu’il lui demanda sous un air d’enfant son numéro de téléphone, elle ne dit pas non. Après tout, ce n’est qu’un numéro de téléphone, se dit-elle.
Il l’écrivit le soir même. Elle avait lu le message mais avait préféré l’ignorer. La jeune femme avait trop à faire en ce moment pour se créer une nouvelle relation. Le jeune policier réessaya le jour suivant, la jeune femme s’obstina à le mépriser. Il abandonna toute tentative. Tant pis, se dit-il, elle me plaisait bien.
Le deuxième jour arriva deux semaines plus tard. Cette fois, il ne portait pas l’uniforme et venait de déposer un ami à l’aéroport Toussaint Louverture lorsqu’il la vit descendre d’une voiture, accompagnée de plusieurs bagages. Sans hésiter, il se dirigea vers elle. La jeune femme sursauta en voyant s’approcher l’homme qu’elle s’était appliquée à ne pas répondre ses messages. Il la vit pousser un juron, il n’en fut cependant guère décontenancé. Il avait l’habitude avec les femmes, les mépris et les malonèt sèch. Là-dessus, il pourrait raconter toute une série de nouvelles qu’il lui en resterait encore d’histoires inédites.
Il lui sourit. La jeune femme le trouva séduisant. Chez cet homme émanait quelque chose qu’elle ne pouvait déceler, quelque chose qu’elle ne chercherait non plus à élucider, puisqu’elle se rendait à Paris le jour même et qu’elle y passerait une année entière à faire un master en communication. Il lui fit la bise, lui avoua d’être assez content de la revoir et la souhaita bon voyage. Lorsque le sourire aux lèvres il la vit s’éloigner et rejoindre sa voiture, elle fut sidérée. C’était un bon perdant, pensa-t-elle, et donc un bon joueur.
Les trois premiers mois dans la capitale de France furent épuisants pour la jeune journaliste. Son adaptation ne fut point des plus faciles. En maintes fois avait-elle songé à renoncer à tout et rentrer chez elle, auprès de ses parents, dans le confort de la petite maison familiale. Elle n’avait pas pu s’intégrer, dans une ville snob et ou les choses évoluaient trop vites à son gout. Elle essoufflait, raclait, désespérait, et pour la première fois de sa vie, elle se demanda si tout cela valait réellement le coup. Cependant, elle tint bon, elle n’avait pas fait tout ce chemin pour abandonner maintenant.
Un soir de janvier, alors que dehors il neigeait et qu’elle n’avait ni le courage ni la détermination pour retourner à ses notes de cours, elle eut envie d’écrire quelques proches et amis. Elle ne sut jamais pourquoi ce fut à ce moment précis qu’elle voulut l’écrire, mais elle se mit à chercher désespérément le numéro du jeune policier sur son répertoire. Elle avait changé de numéro de portable depuis qu’elle habitait France, ainsi, lorsqu’elle lui envoya un message ce soir-là, il lui demanda de qui il s’agissait. Six heures de décalage horaire les séparaient. Il était dix-neuf heures ici à Paris et donc à peine treize heures à Port-au-Prince. Elle fut soulagée de remarquer après s’être présentée qu’il se souvenait d’elle. Il était même heureux qu’elle l’ait écrit. Ils se parlèrent longuement ce jour-là, jusqu’à ce qu’il dut partir, ce soir il avait été assigné à une équipe de patrouille de nuit. Elle lui demanda d’être prudent. Il promit de faire de son mieux. Voilà longtemps que personne ne lui avait conseillé la prudence, lui qui n’avait ni père, ni mère sur qui compter. Il était seul, violemment seul… ce fut là le troisième jour.
Une amitié franche et sincère naquit entre eux. Sept mille trois cent quarante-six kilomètres de distance ne les empêchaient cependant de mutuellement se confier leurs plus grandes peurs et appréhensions. Elle apprit qu’il n’avait pas toujours souhaité devenir policier. Il avait entamé des études en informatique, mais lorsqu’à la mort de sa maman, il s’était retrouvé seul dans une ville Léviathan et mangeuse d’espoir, sa grande taille et sa belle carrure étaient devenues pour lui de grands atouts. Le garçon était intelligent, curieux et avait de la repartie. Voilà qui tuait les clichés autour des hommes et femmes policiers. Subitement, elle se sentit pénible. Toute sa vie s’était-elle plainte d’avoir peu. Avec six enfants à élever, ses parents avaient tout fait pour lui donner l’essentiel. Elle avait toujours voulu plus, bien plus que son monde ne pouvait l’offrir. Devant l’histoire de vie de ce jeune homme, elle ne put retenir qu’un seul mot : gratitude. Il n’avait rien, pourtant se bâtissait-il son propre monde. La vie de l’homme lui fit changer de perspectives. Dès à présent, elle ne se battrait plus uniquement pour elle-même, elle ferait tout ce qu’elle ferait pour les autres aussi. Pour ses sœurs et frères, afin qu’ils puissent avoir ce qu’elle n’avait jamais eu la chance d’avoir.
Le quatrième jour fut le jour où, en écoutant une radio haïtienne, elle entendit le nom de son ami dans la liste d’une dizaine de policiers blessés par balle dans un raid à Martissant contre des bandits armés. Prise de panique, et n’ayant accès à aucune information de bonne source, elle pria pour la première fois depuis une éternité. Son ami se trouvait sur une table d’opération et elle, se trouvant à l’autre bout du monde, ne pouvait qu’espérer que rien de tragique ne se passe. La jeune femme demeura une éternité dans la tourmente et le doute total, sécha quelques cours, mangea très mal. Lorsqu’au cours de la même semaine, un ancien collègue journaliste lui donna des nouvelles de son ami, elle en sortit soulagée. Elle renaquit. L’opération s’était bien déroulée. Il était vivant.
Ils se parlèrent enfin une semaine plus tard. Il était en congé et récupérait doucement. La balle l’avait atteinte à la cuisse gauche, alors il se déplaçait en chaise roulante. Mais les docteurs étaient assez optimistes : il retrouverait l’usage complet de sa jambe dans deux mois au maximum. La jeune femme se sentit heureuse. Son ami était encore là, et ils auraient encore la chance de vivre leurs belles relations. Elle eut encore cette folle envie de rentrer en Haïti. Cette fois, non pas parce qu’elle voulait tout lâcher, mais parce que débordait en elle cette folle envie de le voir. A partir de ce moment-là, elle se mit à compter les jours pour son retour en Haïti.
Le cinquième jour fut témoin de leur première dispute. Il lui avait avoué être impatient de reprendre le travail. Elle ne comprenait pas comment on puisse exercer un métier aussi périlleux et faire du zèle. Il répliqua en lui disant que le métier de journaliste n’était pas si différent du sien, que lui avait une arme et elle un micro et une caméra mais qu’au final, leurs vies étaient constamment en danger. Elle le traita d’idiot. Il lui rit au nez. Elle raccrocha. Pourquoi n’arrivait-il pas à comprendre qu’elle ne souhaitait tout simplement pas le perdre ? Pourquoi était-ce autant insupportable ? Ce creux dans le ventre, ce sentiment de vide constant, est-ce réellement ce que ressentent les femmes, maris, copains et copines des hommes et femmes de l’ordre ? La jeune femme n’arrivait pas à comprendre ce qui lui arrivait. Elle ne s’était jamais attachée à un quelconque homme toute sa vie et une fois qu’elle y était parvenue, il avait fallu que ce soit un policier, un homme que la mort guette jour après jour. Elle pleura pendant une nuit entière, mais elle prit la décision la plus radicale qui soit : Elle s’éloignerait de lui.
Des lors, ils ne se parlèrent qu’un jour sur trois et elle ne répondait pratiquement plus à ses appels, prétextant la fatigue et le surcharge à l’université. Le jeune homme essayait tant bien que mal de reprendre sa vie. Il faisait du sport, se rendait cinq jours sur sept à sa séance de rééducation, méditait et lisait. Mais il ne pouvait s’empêcher de ressentir ce grand trou béat en lui. La jeune femme manquait à son monde.
Un matin, à son réveil, elle trouva un message de son ami qui lui disait ceci : Je me suis habitué à ton sourire, ta voix et ton humour bizarre. Et aujourd’hui tu veux que je réapprenne à vivre comme si jamais tu n’avais été dans ma vie. La vérité, petite fleur, les jours ne seront plus jamais comme avant pour moi. Tu y as été une fois, et aujourd’hui, je n’imagine plus mon monde sans toi. S’il est une chose que je sais, je fais chaque jour tout mon possible pour devenir quelqu’un de meilleur. Je crois que je deviens quelqu’un de meilleur. Mais vois-tu, je ne suis qu’un simple policier qui essaie de faire de son mieux pour sortir de ce carcan qu’il a depuis trop longtemps été fourré à son insu… J’ai besoin de ton amitié. J’ai besoin de toi. Je puis te harceler tous les jours, te bombarder de messages, mais un fait est sûr, une relation se construit à deux. Si tu veux t’éloigner, je comprendrais, mais sache que tu laisseras derrière toi une âme en peine…
Elle fut émue par toute la sincérité qu’elle lut dans ce message. Elle lui répondit qu’il lui manquait également et qu’à partir de maintenant elle ferait tout pour reprendre leur relation là où elle s’était arrêtée. L’année académique touchait à sa fin. Ce fut là le sixième jour.
Elle rentra au pays une semaine après avoir présenté son mémoire de master par devant un jury compétent de l’université. Jamais n’avait-elle autant été empressée de revoir son pays. Le lendemain, il passa la prendre et l’emmena diner. Elle le trouva en pleine forme, guéri et joyeux. Il la trouva belle, bien plus belle que le premier jour. Il s’agissait là du septième jour.
Le septième jour, ils tombèrent amoureux l’un de l’autre, comme l’on tombe de sommeil après une journée de travail sans répit. Brusquement, sans préavis. Ils s’aimèrent et ne voulaient nullement le cacher. Il était célibataire, elle, sa dernière relation remontait à plus d’une année. Deux âmes qui se complétaient, qui s’étaient tant cherchées et qui aujourd’hui ne souhaitaient rien, sinon que s’aimer. Ils firent l’amour avec passion, ils firent l’amour avec autant d’amour que peut contenir des cœurs sensibles et honnêtes. Il lui avoua sa flamme, elle en fit de même. Ce fut là le début d’une vraie relation. Une relation qu’elle promit de s’y investir à fond. Il n’y avait plus qu’elle. Il existait aussi et elle savait qu’elle ferait tout pour être à la hauteur de ce qu’il saurait lui offrir. L’amour ne connait pas la demi-mesure après tout…
Et le huitième jour, elle découvrit la supercherie cachée derrière toute cette histoire. Il est des choses que l’on aurait souhaitée n’avoir jamais eu à découvrir. Le jeune homme, le jeune policier blessé lors d’un raid à Martissant, l’amour de sa vie, était en fait un homme marié et père d’un charmant garçon de six ans. Il n’avait jamais fait des études en informatique et ses deux parents étaient encore bien vivants, en pleine forme et vivant dans le bas-Artibonite. Elle ne comprenait rien du tout à tout cela mais une seule vérité lui pendait au nez : Il avait fait tout cette simagrée rien que pour pouvoir coucher avec elle. Il avait toujours su quelle corde jouer, quoi dire, comment réagir. La femme dut se rendre à l’évidence, Il était un homme patient, il était bon joueur.
Alors tout devint clair pour la jeune femme. Ce qu’elle avait décelé chez lui, à l’aéroport ce jour-là, et qu’elle n’arrivait encore à comprendre n’était autre que la malice qui pétillait dans ses beaux yeux. Jamais auparavant elle n’avait eu de raisons pour pleurer toutes les larmes de son corps. Manipulation, patience, ruse, les hommes ne changeront jamais.
D’ailleurs, ne dit-on pas assez souvent que les plus belles histoires sont contées par les plus grands menteurs ?